BaronBreton Le Patricien du site
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| Sujet: [15/09/2008] Critique de Nation sur le Guardian Mar 16 Sep - 0:17 | |
| http://vade-mecum.over-blog.fr/article-22844381.htmlUn grand merci à Anilori pour cette traduction que je n'ai pas osai lire, de peur de spoiler, même léger : - Anilori a écrit:
Critique : Nation de Terry Pratchett
Cette aventure dans les mers du Sud signée Pratchett est un triomphe comique, écrit Frank Cottrell Boyce (The Guardian, 13 septembre 2008)
Cela fait vingt-cinq ans que Terry Pratchett a créé le Disque-Monde. S’il y a une justice, la Poste imprimera une série de timbres commémoratifs argentés, le gouvernement décrétera une fête nationale, et des tortues géantes paraderont dans nos parcs municipaux. Pratchett, lui, a célébré cet anniversaire avec un génial esprit de contradiction, en publiant un roman hors-Disque. Nation se passe sur une île des mers du Sud, dans une version déformée du XIXe siècle. Comme genre littéraire, l’aventure sur île déserte compte bon nombre de chefs-d’œuvre, y compris Robinson Crusoé, L’Ile au Trésor et Sa Majesté des Mouches ; Nation peut se ranger à son aise à leurs côtés. Le livre raconte l’histoire de Mau, un jeune habitant d’une île des mers du Sud, sur le point de passer le rite initiatique traditionnel qui fera de lui un homme. Ce qui consiste à l’emmener sur une île voisine, hantée, et à le laisser là-bas pour qu’il retrouve seul le chemin de chez lui. Mais quand Mau y parvient, il n’y a plus de chez lui. Un raz-de-marée a emporté sa civilisation entière et l’a remplacée par l’épave d’un navire d’exploration et une jeune Britannique très bien élevée, Daphné. Ils commencent par se méfier l’un de l’autre – Mau n’est même pas sûr que Daphné soit réelle – et Pratchett s’amuse beaucoup avec leur incapacité à se comprendre et leurs efforts pour se raccrocher chacun à sa culture. Il y a une scène particulièrement drôle et poignante où Daphné invite Mau à prendre le thé, et, pour l’aider, inclut dans son invitation une carte avec des flèches – Mau croit qu’elle veut qu’il lui tire des flèches dessus. Elle essaie de lui faire des scones, mais la farine est contaminée par des homards morts. Alors que les potentialités de malentendus et de danger augmentent, Mau comprend tout à coup, dans un passage saisissant, que Daphné est en fait bien intentionnée. Les jours passant, l’île s’emplit de réfugiés, et les deux enfants se retrouvent à faire des choses que leurs cultures respectives n’auraient jamais permises. La prude et policée Daphné découvre l’allaitement et doit mâcher de la viande pour une vieille dame édentée. Quand la communauté grandissante est menacée par des bandits, Mau se rend compte à sa grande surprise qu’il a bel et bien un peuple à diriger. On trouve là un rebondissement qui m’a donné la chair de poule de bonheur ; si vous le lisez à des enfants de dix ans, ils seront bouche bée et hilares.
En même temps, on pourrait lire ce livre à une conférence de professeurs de philosophie ; ils y apprendraient quelque chose. Nation dit des choses profondes, subtiles et originales sur les rapports entre tradition et connaissance, entre foi et questionnement. Par exemple, durant son rite d’initiation, Mau découvre que l’île n’est pas du tout hantée, et que son père et son oncle étaient déjà venus pour lui laisser des provisions et un canoé. Dans un sens, cela signifie que ce rite ancestral est une pièce de théâtre vide de sens. Mais de l’autre, c’est un rite qui est censé enseigner autonomie et courage. Mau en retire en fait une connaissance beaucoup plus profonde : il apprend combien son père l’aime et combien il compte pour les siens. Sans le théâtre des fantômes, il n’aurait pas pu éprouver la réalité de cet amour.
Pratchett a déjà exploré ce thème dans la trilogie du Grand Livre des Gnomes, où l’on trouve un groupe de gnomes ayant développé une religion manifestement stupide fondée sur une pierre magique, le Truc, et une croyance en les Cieux. Le tout est ridicule, mais s’avère aussi, d’une certaine manière, être la vérité. Quelque chose de semblable se produit dans Nation, mais je ne peux pas en dire plus sans gâcher la surprise.
Pratchett, comme Mark Twain ou Jonathan Swift, n’est pas seulement un grand écrivain mais aussi un penseur original. Regardez ses héros, par exemple. Mau glisse vers le pouvoir en partie par faiblesse : il accepte les responsabilités parce que c’est plus facile que de se disputer. Plus il accepte de responsabilités, plus les gens se reposent sur lui, jusqu’à ce qu’enfin il devienne leur chef par défaut. A ce moment, bien entendu, il se trouve obligé d’agir comme un chef est censé le faire. C’est une vision plus intéressante, plus vraie et plus indulgente que tout ce que l’on peut trouver dans les médias ou dans un essai politique. Je donne peut-être l’impression de quelque chose de lourd et pompeux ? Le roman ne l’est pas du tout ; il est drôle, captivant, léger, et, comme toutes les grandes œuvres de comédie, très sérieux. Il y a sans doute, quelque part dans le multivers, une civilisation fondée sur la pensée de Terry Pratchett ; ô combien civilisée elle doit être !
Le dernier roman de Frank Cottrell Boyce est Cosmic (Macmillan).
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Leïa Tortoise
Messages : 949 Date d'inscription : 28/01/2008 Age : 38 Localisation : Limousin
| Sujet: Re: [15/09/2008] Critique de Nation sur le Guardian Mar 16 Sep - 12:15 | |
| - Citation :
- Cela fait vingt-cinq ans que Terry Pratchett a créé le Disque-Monde. [...] Pratchett, lui, a célébré cet anniversaire avec un génial esprit de contradiction, en publiant un roman hors-Disque.
Ahahah!! C'est vrai, j'avais pas fait attention... Ben elle est bien alléchante, cette critique, ça promet... Hmm, vivement qu'il sorte en VF ^^ | |
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