http://vade-mecum.over-blog.fr/article-21142250.htmlTraduction par Anilori ^^ :
« Je crée des dieux à longueur de temps, et maintenant je pense qu’il pourrait en exister un »Il y a une rumeur qui circule, selon laquelle j’aurais trouvé Dieu. A mon avis, cela est extrêmement improbable, parce que j’ai déjà assez de mal à trouver mes clés, alors que j’ai des preuves empiriques de leur existence.
Cependant, il est vrai que, dans une interview que j’ai donnée récemment, j’ai décrit cette sensation subite et distincte que j’ai éprouvée, au cours d’une journée complètement folle : la sensation que tout ce que je faisais était bien, et que les choses étaient comme elles devaient l’être.
On aurait dit le souvenir d’une voix, enveloppé dans sa propre petite bulle éphémère de tranquillité. Je n’ai pas l’habitude de ce genre de choses.
Étant auteur de fantasy, je crée des dieux et des philosophies nouveaux dans presque chaque livre (je suis assez content d’Anoia, la déesse des ustensiles qui coincent dans les tiroirs, dont le temple est orné de morceaux de fouets à pâtisserie et de spatules cassés. Il semblerait même qu’elle soit aussi à l’œuvre dans notre monde).
Mais depuis que j’ai contracté la maladie d’Alzheimer, j’ai passé mes longues promenades d’hiver à essayer de découvrir ce en quoi je croyais, si je crois en quelque chose.
J’ai lu l’Ancien Testament d’un bout à l’autre quand j’avais environ treize ans, et j’ai été épouvanté. Quelques mois plus tard, j’ai lu De l’Origine des Espèces tout en étant en proie à de légères hallucinations, car j’étais au lit avec la grippe à ce moment-là. Malgré cela – ou peut-être à cause de cela – tout m’a semblé parfaitement clair.
Dès que j’ai été autorisé à sortir, j’ai emprunté la suite, et même alors il m'a semblé que Darwin avait raté quelque chose en choisissant le titre. Si seulement un bon éditeur lui avait fait remarquer que « l’Élévation de l’Homme » était bien mieux pour appâter le lecteur, il n’y aurait peut-être pas eu toutes ces histoires.
L’évolution était, pour moi, bien plus excitante que le récit biblique. Qui n’aurait pas préféré être un singe grandi plutôt qu’un ange déchu ? A mes jeunes yeux, chaque jour apportait la preuve que Darwin avait raison. Il ne faut pas grand-chose pour nous faire retourner à l’état de singe.
Le Nouveau Testament, en revanche, je l’ai bien aimé. Jésus avait beaucoup de bonnes choses à dire ; quant à son père, il devait être très bien considéré dans la communauté s’il travaillait le bois, un matériau qui était forcément assez rare en Palestine.
Mais je n’ai jamais pu voir les deux Testaments comme un récit cohérent. De plus, à l’époque je lisais la mythologie pour le plaisir, et j’étais tombé sur Folklore in the Old Testament de Sir James G. Frazer, travail de démolition en gants de velours par excellence.
A quatorze ans, j’étais déjà trop malin pour mon propre Dieu.
Je ne trouvais jamais les réponses, voyez-vous. Peut-être que je ne posais pas les bonnes questions, peut-être que je n’étais pas un gosse normal, même à l’école primaire.
Je ne comprenais pas l’hymne qui disait qu’il y avait une colline verte, au loin, « sans rempart » [NDT : c’est une citation approximative d’un hymne du XIXe siècle ; en fait, « outside a city wall », à l’extérieur d’un rempart]. Qu’est-ce qu’il y avait de si extraordinaire à ce qu’une colline n’ait pas de rempart ? Si seulement quelqu’un m’avait expliqué…
C’était comme ça – il n’y avait jamais d’explication.
J’ai demandé à un professeur ce qu’était le contraire d’un miracle ; elle m’a répondu – sans réfléchir, je pense – que c’était un acte de Dieu.
On ne devrait pas dire ce genre de choses au genre de gosse qui deviendra écrivain en grandissant. Nous avons bonne mémoire.
J’avais posé la question parce que ma mère m’avait parlé de deux familles qu’elle connaissait à East End, à Londres. Elles vivaient dans deux maisons mitoyennes. La fille de l’une devait épouser le fils de l’autre ; mais la nuit précédant le mariage, une bombe allemande anéantit tous les membres des deux familles qui séjournaient dans les deux maisons, d’un seul coup, à l’exception du frère du marié, un marin, qui arriva à temps pour aider à fouiller les ruines à mains nues.
Comme beaucoup des histoires que me racontait ma mère, celle-ci a eu sur moi un effet considérable. J’ai pensé que c’était un miracle. Cela avait la forme d’un miracle – juste… inversé.
Le marin avait-il remercié Dieu parce que la bombe l’avait épargné ? Ou l’avait-il maudit parce qu’elle n’avait pas épargné sa famille ? Si ce marin avait rendu grâces à Dieu, n’aurait-il pas trahi sa famille ?
Si Dieu avait sauvé l’un d’eux, Il aurait pu sauver les autres, non ? Après tout, c’est Lui qui commande ! Pourquoi agit-Il comme si ce n’était pas le cas ? Veut-Il que nous fassions de même ?
Enfant, j’avais une image mentale très nette du Tout-Puissant : il portait un frac, un pantalon rayé, et avait des cheveux noirs gominés et un nez aquilin.
L’un dans l’autre, j’étais sans doute un drôle de petit garçon, et je me demande ce que ma vie aurait pu être si j’avais rencontré un théologien compétent quand j’avais neuf ans.
Il y a environ cinq ans, ce petit garçon s’est réveillé en moi, et j’ai commencé à travailler sur un livre qui va bientôt voir le jour sous le titre de Nation. Tout m’est venu en une nuit, à part les petits détails.
L’histoire se passe dans un monde très semblable au nôtre, après une explosion très semblable à celle du Krakatoa ; et au centre de mon livre, un jeune garçon de treize ans, devenu orphelin, demande à ses dieux des réponses, en hurlant, alors qu’il n’a pas encore compris quelles étaient les questions.
Il les hait trop pour ne pas croire en eux. Il a dû enterrer sa propre famille ; il n’est pas question qu’il remercie qui que ce soit. Et je l’ai regardé tenter de construire une nouvelle nation et une nouvelle philosophie.
« Le Créateur nous a donné un cerveau pour que nous prouvions qu’il n’existe pas, dit-il, une fois devenu vieux. Mieux veux construire un sismographe que de rendre un culte au volcan. »
Je suis d’accord. Je ne crois pas. Je n’ai jamais cru, pas aux grands barbus célestes.
Mais j’ai été élevé dans la religion anglicane traditionnelle, c’est-à-dire que, si l’église ne faisait pas partie du programme dominical de ma famille, les Dix Commandements étaient presque tous respectés instinctivement, et ce qui prévalait était une atmosphère générale de raison, de bonté et de respect des convenances.
On ne parlait jamais de foi à la maison, mais on apprenait à bien agir par des exemples quotidiens.
C’est peut-être pour cette raison que je n’ai jamais eu d’antipathie pour la religion. Je pense qu’elle joue un rôle dans notre évolution.
Je n’aime pas beaucoup l’école de pensée selon laquelle « la religion est la cause de toutes les guerres », parce que celles-ci sont clairement causées par des fous manipulateurs et assoiffés de pouvoir qui cachent leur ambition derrière Dieu.
Je compte parmi mes amis des croyants de toutes sortes. Certains prient pour moi. Je suis heureux qu’ils désirent faire cela, vraiment heureux, mais je pense qu’il vaut mieux miser sur la science.
Mais alors, que dois-je faire de cette voix qui m’a parlé récemment alors que je courais dans tous les sens pour me préparer à passer encore une fois sur le divan d’un talk-show ?
C’était, plus précisément, le souvenir d’une voix dans ma tête, qui me disait que tout allait bien et que les choses étaient comme elles devaient être. Pour un moment, il m’a semblé que le monde était en paix. D’où cette voix venait-elle ?
De moi, en fait – de la partie de nous qui, dans mon cas, m’a fait rester debout émerveillé la première fois que j’ai entendu le Spem in Alium de Thomas Tallis, et ressentir cette exaltation lors d’une promenade, un jour en février dernier, quand la lumière du soleil couchant a soudain teinté de rose vif un champ labouré. Je crois que c’est ce qu’Abraham a ressenti sur la montagne, et Einstein quand il s’est avéré que E égalait mc2.
C’est ce moment, cette brève épiphanie où le monde s’ouvre à nous pour nous faire découvrir quelque chose ; et dans cet instant, l’on a l’intuition d’un ordre plus grand que le royaume de Dieu et – du moins pour le moment – hors de portée de Stephen Hawking. Cet ordre n’exige aucun culte, mais, à mon sens, récompense l’intelligence, l’observation et les esprits curieux.
Je ne pense pas avoir trouvé Dieu, mais j’ai peut-être vu d’où viennent les dieux.